Société d’ Histoire de Revel Saint-Ferréol                                      PARU DANS LES CAHIERS DE L’ HISTOIRE NUMERO 3 - 1997 -

 

Pierre-Paul Riquet
Hommage à celui qui nous donna Saint – Ferréol

par Bernard BLANCOTTE

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Nous ne saurions retracer les événements qui ont marqué l'histoire de Revel depuis 650 années sans y inclure l'édification de Saint-Ferréol, et par là rendre un hommage à Pierre-Paul Riquet baron de Bonrepos qui nous donna ce prestigieux "magasin d'eau" si bien soudé au paysage depuis le XVllème siècle, que pour tous il est le "lac" !

"Il y a là l'exemple inimitable d'un ouvrage d'utilité publique se transformant avec l'aide du temps en un paysage pensé",

se plut à dire le poète F. Alibert (né à Carcassonne en 1873).
 Celui-ci, méditant sur le bel ordre de la nature face au lac, à la montagne et aux forêts plongeant dans cette retenue liquide (plus volumineuse que toute l'eau du canal du Midi amassée entre Toulouse et Béziers) ajoutait :

"C'est à Poussin que je songe sans me lasser, devant ces masses qui se contrebalancent sans lourdeur, ces eaux d'une profondeur de réflexion silencieuse et contenue ...".

N'oublions pas que Saint-Ferréol, ancêtre des barrages actuels porta longtemps le titre envié de plus grand et plus magnifique ouvrage hydraulique des temps modernes ! Nous nous devions de saluer Pierre-Paul Riquet qui fit œuvre d'artiste en ajoutant à la nature, à 360 mètres d'altitude, cet incomparable triangle d'eau, anciennement San-Farriol.

 Si ce réservoir n'occupe plus la première place en importance, il témoigne toujours de la mesure et de la majesté de l'œuvre conçue et menée à bien par "Nostre Riquet" pour alimenter son canal.
Appréciant la beauté, le calme, le charme incomparable de Saint-Ferréol, "miroir" de la Montagne Noire, on ne peut que louer Pierre-Paul Riquet ! Par la science dont il fit preuve, il sut donner le ton aux voix battantes des rigoles et des chutes d'eau.
 Et quelle habileté pour compléter la nature ! Saint-Ferréol inscrit son nom dans les travaux inouïs menés à la pelle et à la pioche par une armée d'ouvriers lors de la construction "de son canal" qu'il appelait "sa créature", magnifique "chemin d'eau" qui allait enrichir les contrées méridionales ; une œuvre titanesque pour réunir tous les ruisseaux de la Montagne Noire, en retenir les eaux dans Saint-Ferréol, et les conduire vers l'artère reliant la "mer Océane à la Méditerranée".

Quatorze ans de travaux gigantesques de 1667 à 1681 ! Tout cela parce que l'homme qui avait conçu ce prodigieux projet en rendit possible la réalisation à force de volonté, se vouant à cette œuvre grandiose avec l'enthousiasme de la jeunesse, alors qu'il avait atteint la soixantaine.

D'éminents spécialistes ont étudié depuis trois siècles, dans les moindres détails, le canal du Midi et ses transformations. Si nombreux sont les volumes tant du point de vue technique qu'historique ou économique qui ont été consacrés à ce canal, à son rôle d'axe de transport où passèrent successivement les barques de poste, les péniches halées par les chevaux et les automoteurs enfin, qu'il nous paraîtrait excessif, prétentieux même, d'ajouter aux remarquables études parues au fil des siècles.
Notre propos visera simplement à évoquer à grands traits les principaux événements qui jalonnent la vie de Pierre-Paul Riquet, à rappeler comment il eut la vision de son œuvre, à le montrer à l'ouvrage à travers la Montagne Noire et à Saint-Ferréol : étapes de la vie, fonctions, contexte historique autant d'éléments déterminants pour les actions menées par ce bâtisseur.

Un personnage hors du commun

Pierre-Paul Riquet, fils de Guillaume Riquet - notaire, personnage important - et de son épouse née Vial naquit à Béziers, la ville dont un poète latin déclara qui "si Dieu devait habiter la terre, c'est Béziers qu'il choisirait".
C'est un 29 Juin 1604 ou 1609 (les historiens n'étant pas d'accord faute d'avoir retrouvé l'acte de naissance, et selon Jean Girou, auteur de "Nostre Riquet" et Arnaud d'Antin de Vaillac, auteur de "Connaissance du Canal du Midi"; pour celui-ci certains historiens se réfèrent à son acte de décès établi en 1680 mentionnant pour le défunt l'âge de 71 ans) que vint au monde Pierre-Paul Riquet.

 Ce jour là, on célèbre Saint Pierre et Saint Paul, d'où les prénoms du nouveau né. Pour la plupart des biographes, P.P. Riquet est le descendant d'une noble famille italienne, les Arrighetti.
Originaires de Florence, ceux-ci avaient embrassé la cause des gibelins au Xlllème siècle (partisans des empereurs germaniques) dans leur lutte sanglante contre les guelfes soutenant le pape.
La défaite des gibelins devait contraindre les Arrighetti à fuir leur patrie, et à se réfugier en Provence.
Après diverses francisations, de Ricquety en Ricquety et enfin Riquety, le nom de la famille florentine aurait abouti à celui de Riquet ; P.P. de Riquet serait ainsi de la même famille que Gabriel Riquetti de Mirabeau le "flambeur de la Provence" en 1789.

Pour Monsieur d'Armagnac del Cers, comte de Puymège, généalogiste (auteur des Vieux noms de France), les documents du cabinet des titres, et les généalogistes ne sont pas d'accord sur l'origine de cette famille.
Celui-ci se base sur le fait "qu'il a relevé dans un ouvrage de Doat (magistrat du règne de Louis XIV), le nom de Riquet à la date de 1113.
Pour lui, Riquet et Riquetti ne sont qu'un même nom. Il précise que le i final n'indique pas forcément une origine italienne. Cette lettre correspond au génitif latin et doit se traduire par « de Riquet ».
 La consonance méridionale du nom, et l'affection portée au personnage en feront "nostre Riquet" pour reprendre cette appellation mise en valeur par le Docteur Jean Girou dans un livre qu'il consacra à Riquet.
Du père de Pierre-Paul Riquet - plus brasseur d'affaires que notaire et pratiquant l'usure - nous retiendrons qu'il s'occupait de la levée du produit du diocèse du Languedoc, se chargeant aussi de l'assèchement de l'étang de Capestang.

 En fait, la maison des Riquet à Béziers était une véritable banque. Pierre-Paul Riquet devait hériter de l'esprit d'entreprise de son père, du goût de l'économie et des finances.
L'enfant grandit, peu soucieux des convenances. Au collège des Jésuites, il n'est guère brillant élève en lettres humaines.
 Au grec et au latin, il préfère la lenga mairala ! Seules le captivent, les sciences et les mathématiques.

En 1618, un événement capital va marquer son enfance. Les États du Languedoc siègent à Pézenas. Le 12 Janvier 1618 il y est débattu d'un projet de canal entre Toulouse et Narbonne, projet émanant du biterrois Bernard Arribat.
 Pour lui, ce canal faciliterait le commerce. Ce projet "considéré comme étant nuisible à l'intérêt général et privé", jugé insensé, est rejeté . Mieux "tous ceux qui à l'avenir seraient tentés de reproduire un tel projet seraient passibles d'une poursuite légale" !

Chez lui, le notaire Guillaume commente la décision des autorités du Languedoc et manifeste fermement son accord à ce projet. Cette idée hante le fils. On peut affirmer sans peine, qu'il dut se promettre à ce moment là, en secret, de réaliser le canal proposé par Bernard Arribat, et aussi de redonner ennoblissement à sa famille ... son père, accusé de détournements de fonds, ayant perdu sa qualité de noble à la suite d'un emprisonnement.
Le 18 Juillet 1622, Louis XIII traverse Béziers avant d'aller mettre le siège devant Montpellier tenu par le duc Henri de Rohan, chef des Calvinistes.

Pierre-Paul Riquet a 18 ans ; assistant aux festivités en l'honneur du roi, le jeune homme prend la notion de l'autorité royale.

A 20 ans, le choix d'une carrière s'impose. Sa famille le verrait bien homme de robe. Sans l'intervention de sa mère et de son parrain connaissant le goût du jeune homme pour les mathématiques, il ne serait jamais entré dans les gabelles du Languedoc où il fit des débuts prometteurs en tant que commis. Charge délicate que de percevoir cet impôt sur le sel institué sous Philippe le Bel en 1286, chaque roi par la suite "faisant de la gabelle un impôt productif" ! Les supérieurs de P.P. Riquet n'eurent qu'à se louer de ce "fonctionnaire".

 

Marié à Catherine de Milhau, fort joliment dotée, et qui partagea les enthousiasmes de son époux, celui-ci va effectuer une belle carrière dans l'administration des gabelles : sous-fermier en 1651, fermier général en 1660 pour le Languedoc, Roussillon, Cerdagne.
Sa charge va l'obliger à se déplacer constamment pour procéder au recouvrement du sel et contrôler les opérations de ses commis. Egalement fournisseur des armées de Louis XIV faisant la guerre aux Espagnols, jusqu'en 1659, Pierre-Paul Riquet se heurta aux difficultés de transport liées au déplorable état des chemins et des ponts qui entravaient le ravitaillement en marchandises et munitions.

Réaliste, il comprend vite qu'une voie d'eau faciliterait l'approvisionnement des armées et la fourniture en sel et denrées diverses du bas Languedoc, ainsi que les échanges commerciaux pour toute la province.

"On comprend dans ces conditions combien cet homme entreprenant et réaliste souhaitait la construction d'un canal qui lui permettrait de véhiculer sel et denrées en tout temps par bateaux contenant chacun plus de cent fois le chargement d'une charrette", devait écrire G. Houlié (ingénieur au service des Canaux à Toulouse de juillet 1934 à septembre 1971, attaché pendant 23 années à l'aménagement hydraulique de la Montagne Noire).

Sur les traces de Riquet dans la Montagne Noire

Ayant acquis un vieux château féodal situé à Bonrepos (non loin de Toulouse) sur la rive droite du Girou, près de Verfeil, P.P. Riquet le transforma en beau manoir pour sa famille.
De là, il gagnait souvent Revel où il possédait des terres, ainsi qu'en forêt de Ramondens. Pourquoi Riquet est-il venu à Revel ?
Il habite sur la place dans la maison Reverdy-Auriol (aujourd'hui Maury) et se lie d'amitié avec le fonctionnaire "royal" Pierre Campmas, un cap d'oustal (chef de maison) connaissant tous les secrets de la Montagne Noire : ruisseaux, torrents, sources, forêts.

 Tandis qu'il parcourt la Montagne Noire avec Pierre Campmas, ou se trouvant dans sa pièce de travail au premier étage de la seigneurie de Bonrepos, Riquet se remémore les projets de ceux qui, bien avant lui, ont songé à creuser un canal ; cette idée n'était-elle pas dans les esprits depuis des siècles ?

L'historien Tacite, n'évoque-t-il pas dans ses écrits le projet d'un canal voulu par l'empereur Auguste à travers l'isthme gaulois pour éviter aux barques romaines le difficile franchissement des Colonnes d'Hercule, et un trop long détour pour gagner l'Océan ? Charlemagne n'eut-il pas le même dessein ? François 1 er , quant à lui, ne fit-il pas étudier en 1539 par l'archevêque Sisteron et François Conseil le plan d'une voie d'eau qui unirait l'Aude à la Garonne.

Une idée reprise par Charles IX. ?

En 1598, c'est Henri IV qui demande au Cardinal de Joyeuse d'étudier de près ce qui n'était que proposition depuis des siècles ! Riquet se souvient surtout de son compatriote Bernard Arribat qui, sous Louis XIII, avait envisagé de creuser un canal entre Toulouse et Narbonne.
Et il a constamment à l'esprit, comme le dit si justement l'ingénieur G. Houlié, que "depuis le moment où le royaume de France a pris conscience de son homogénéité hexagonale, l'intérêt d'une liaison fluviale reliant l'Atlantique à la Méditerranée est devenue une évidence économique et militaire, en particulier pour faire cesser le passage obligatoire par le détroit de Gibraltar profitable aux revenus du roi d'Espagne à Cadix".

 

Riquet n'ignore pas que ses devanciers envisageaient d'aller au plus court pour joindre la Garonne à l'Aude. en suivant le long couloir ouvert entre la Montagne Noire et les Pyrénées.
A propos des pensées qui agitaient Riquet quant aux difficultés à trouver de l'eau pour alimenter un canal, on ne saurait mieux dire que G. Houlié (déjà cité) :

"Riquet savait que les projets présentés jusqu'alors aux Souverains et aux États du Languedoc, avaient avorté parce qu'ils ne garantissaient pas une alimentation en eau certaine, durant la période sèche de juillet à décembre. Il avait longtemps médité sur ce problème.
L'acquisition en 1651 de la propriété de Bonrepos, avec 150 hectares de terre et ses 60 hectares de bois - où se trouvaient des sources bien placées pour créer des retenues d'eau dans les vallons voisins du château - lui permirent avec les conseils du mathématicien et physicien Pierre Petit, de se faire une idée sur les quantités d'eau nécessaires à l'alimentation d'un canal de 9 toises de large avec 6 pieds d'eau reliant (dans un premier temps) Toulouse à Carcassonne".

Peu à peu, au cours de ses randonnées dans la montagne, au dessus de Revel. P.P. Riquet acquit la conviction que la solution du problème résidait dans ce château d'eau naturel : la Montagne Noire ! Et G. Houlié de préciser :

"L'idée était fort simple, faire déverser dans le Sor les torrents de la Montagne Noire pour le grossir, afin que, dérivé vers ce qui serait le plus haut point du canal, il pût alimenter les deux versants : celui de l'Ouest vers la Garonne, et celui de l'Est vers l'Aude. Ce fut cette heureuse trouvaille (banale au demeurant) qui devait rendre le projet réalisable".

 Mais encore fallait-il que Pierre-Paul Riquet poussât plus avant son étude !

Inlassablement, Riquet fasciné par les eaux de la Montagne Noire, explore le moindre recoin de ce réservoir d'eau. Point de départ de ses randonnées : Revel. Tantôt à cheval, tantôt à pied, et toujours en compagnie de Pierre Campmas, Riquet gravit les pentes de la Montagne Noire, gagne les sommets, pénètre sous le couvert des forêts, vérifie les cours de la Vernassonne, de l'Alzeau, du Lampy, du Coudrier, du Rieutort, autant d'affluents du Fresquel. On les voit à la Loubatière, à Ramondens, à Montaut, Font Bruno, Arfons, les Martys.

De ses observations, Riquet conclut que pour rassembler les eaux des ruisseaux et des torrents qui dévalent les pentes du versant méditerranéen, il faudra les basculer sur le versant opposé.

Il devra couper ces ruisseaux et torrents par une rigole courant à flanc de montagne, regrouper les eaux de la Vernassonne, de l'Alzeau, du Lampy, du Rieutort, les conduire sur le versant nord et les déverser ensuite dans le Sor, au lieu-dit Le Conquet pour grossir cette rivière.
Ensuite ? Creuser une rigole en plaine pour prendre les eaux du Sor au Pont Crouzet et les amener jusqu'à l'entrée de Revel à Port Louis, de là, les diriger vers le point de partage, grâce à la "Rigole".
Le lit de cette rigole devra exploiter le moindre mouvement de terrain pour donner un certain rythme à l'écoulement. Ainsi, les eaux de la Montagne Noire arriveront-elles au point le plus haut où passera le canal : Naurouze bief de partage, ligne de faîte délimitant à 189 m d'altitude les deux bassins fluviaux.
Pierre-Paul Riquet au cours de ses déplacements, cherchant le point de partage idéal était parvenu à Montferrand, non loin de Villefranche .
Quel ne fut pas son étonnement lorsqu'il vit les eaux de la fontaine de la Grave se séparant d'elles-mêmes en deux sens opposés : vers l'ouest en direction de Toulouse, et vers l'Est en direction de Carcassonne. Le docteur J. Girou dans son livre consacré à Riquet rapporte une légende "qui voudrait que Riquet, s'étant soulagé d'un besoin naturel contre un arbre, vit son jet à terre se diviser en deux ruisselets divergents, l'un vers la mer, l'autre vers Toulouse ! Riquet savait maintenant avec certitude que pour alimenter le canal des deux mers, il fallait conduire les eaux à Naurouze; ce col était la vraie ligne de partage des eaux ; Naurouze devait devenir le robinet de distribution".

Plus tard il lui faudrait envisager de construire un bassin pour alimenter le canal afin de stocker l'eau en prévision de sécheresse.
Mais que d'obstacles avant de passer à l'action ! Il lui faut très vite convaincre l'autorité royale. Pour établir la preuve de ce qu'il avance, il bouleverse le parc de son château de Bonrepos et réalise la maquette des différentes pièces du canal dont il rêve, avec rigoles d'alimentation en eau. Ayant apprécié l'œuvre en réduction, un de ses amis, Monseigneur d'Englure de Bourlemont archevêque de Toulouse, incite Riquet à s'adresser à Colbert.

L'homme qui n'entend ni grec, ni latin

Cette lettre adressée au grand commis Colbert pourra paraître assez longue, mais étant le document de base qui déclenchera par la suite l'approbation royale, nous nous devons de la reproduire in extenso :

"A Bonrepos", 26 novembre 1662

Je vous escrivis de Perpinian le XXVIII du mois dernier au subject de la ferme des gabelles du Roussilhon et aujourd'huy je fais mesme chose de ce village, mais sur un subject bien esloigné de cette matière là. C'est sur celle du dessein d'un canal qui pourrait se faire dans cette province du Languedoc pour la communication des deux mers Occéane et Méditerranée, vous vous estonnerés Monseigneur que j'entreprenne de vous parler d'une chose qu'aparement je ne cognois pas et qu'un homme de gabelles se mesle de nivellage. Mais vous excuserez mon entreprise lorsque vous saurez que c'est d'ordre de Monseigneur l'archevêque de Tolose que je vous escris. Il y a quelque temps que ledit seigneur me fit l'honneur de venir en ce lieu, soit à cause que je luy suis voisin et omager ou pour savoir de moy les moyens de fere ce canal, car il avoit ouy dire que j'en avais fait une estude particulier, je luy dis ce que j'en savois et luy promis de l'aller voir à Castres à mon retour de Perpinian, et de le mener sur les lieux pour luy en fere voir la possibilité. Je l'ay fait, et ledit seigneur en compagnie de Monsieur l'evesque de Saint-Papoul et de plusieurs autres personnes de condition a esté visiter toutes choses qui s'estant trouvées comme je les avois dites, ledit seigneur Archevesque m'a chargé d'en dresser une rellation et de vous l'envoyer, elle est icy incluze mais en assez mauvais ordre, car, n'entendant ni grec ni latin et à peyne sachant parler françois, il n'est pas possible que je m'explique sans begayer ; aussi ce que j'entreprens est par ordre et pour obeyr et non pas de mon mouvement propre.
Toutes foix Monseigneur, s'il vous plaict de vous donner la peyne de lire ma rellation vous jugerés qu'il est vray que ce canal est faisable, qu'il est à la vérité difficile à cauze du coust mais que regardant le bien qui doibt en arriver l'on doibt fere peu de considération de la despense. Le feu roy Henri quatriesme ayeul de nostre Monarque désira passionement de fere cest ouvrage, feu Monsieur le Cardinal de Joyeuse avoit commansé d'y fere travailler et feu Monsieur le Cardinal de Richelieu en souhaitoit l'achevement, l'histoire de France, le recoeul des oeuvres dudit sieur cardinal de Joyeuse et plusieurs autres escrits justiffient cette vérité ; mais jusques à ce jour l'on n'avoit pas pansé aux rivières propres à servir ni sceu trouver de routtes aizées pour ce canal, car celles qu'on s'estoit alors imaginées estoient avec des obstacles insurmontables de rétrogradations de rivières et de machines pour eslever les eaux. Aussi crois je que ses difficultés ont toujours cauzés le dégout et recullé l'exécution de l'ouvrage. Mais aujourd'huy Monseigneur, qu'on trouve de routtes aizées et des rivières quy peuvent estre facillement destournées de leurs anciens lits et conduites dans ce nouveau canal par pente naturelle et de leur propre inclination, touttes difficultés cessent, excepté celle de trouver un fonds pour servir aux frais du travail. Voux avés pour cella mille moyens, Monseigneur, et je vous en présente encore deux dans un mien mémoire cy joint cy afin de vous porter plus de considérer que la facillité et l'assurance de cette nouvelle navigation fera que les destroits de Gibraltar cessera d'estre un passage absolument nécessaire, que les revenus du Roy d'Espaigne à Cadix en seront diminués, et que ceux de nostre Roy augmanteront d'aultant sur les fermes des entrées et sorties des marchandises en ce royaulme, outre les droicts qui se prendront sur ledit canal qui monteront à des sommes immenses, et que les subjects de sa Majesté en général proffiteront de mille nouveaux commerces et tireront de grands avantages de cette navigation, que s'y j'aprans que ce dessein vous doibve plaire je vous l'envoere figuré avec le nombre des escluses qu'il conviendra fere et un calcul exact des toises dudit canal, soit en longueur soit en largeur. Je suis etc.

(Références : Archives du canal, liasse I n° 6)

 

Pierre-Paul Riquet, comme indiqué dans cette lettre, y joignit un Mémoire détaillé intitulé :"Relation pour la jonction des Mers Océane et Méditerranée".

Ce mémoire est de la plus haute importance. Riquet y expose ce qui avait fait échouer les projets de ses adversaires ; à savoir : la difficulté des eaux à la hauteur des "Pierres de Naurouze".

En voici les passages essentiels :

"En douze lieues de pays, dit-il, on ne trouvoit ni ruisseau ni rivière qui fit fournir d'eau à suffisance pour ce canal, et c'étoit pour cela qu'on s'imaginoit de pouvoir faire rétrograder à contre-mont la rivière de l'Arriège : ce qui avoit été trouvé inexécutable. Il ajoutait que les moyens de donner de l'eau à ce canal avaient été jusqu'alors cachés à tout le monde, et que néanmoins il en existait de naturel et presque sans obstacles. Mais ce qui me semble le plus important disoit-il, est d'avoir d'eau à suffisance pour le remplir, et de le conduire à l'endroit même où il est le point de partage. Ce qui se peut aussi faire avec facilité, prenant la rivière du Sor, près la ville Revel, qu'on conduira par pente naturelle, puisqu'il se trouve neuf toises de descente depuis ledit Revel jusqu'au point de partage, et que le pays est uni et sans éminence. (A noter que dans ce premier projet de Riquet, il avait placé le point de partage des eaux dans la paroisse de Saint-Félix de Caraman auprès de Graissens. Ce choix présentait l'inconvénient d'une trop grande élévation ; aussi, l'année suivante Riquet se détermina-t-il à baisser son point de partage jusqu'à la fontaine de la Grave, au-dessous des Pierres de Naurouze).
Le mémoire précise encore :"II est encore aisé de conduire, le ruisseau appelé le Lampy, dans le lit de la rivière de Revel, distante d'environ quinze cents pas l'un de l'autre. II est pareillement facile de mettre dans ledit Lampy un autre ruisseau appelé l'Alzeau, distant d'environ cinq quarts de lieue, et par conséquent plusieurs autres eaux qui se rencontrent dans cette conduite ; de sorte que jointes ensemble, étant comme elles sont toutes sources vives et de durée, elles formeront une grosse rivière qui menée au point de partage, rendra le canal suffisamment rempli des deux côtés pendant toute l'année, et jusqu'à six pieds de hauteur sur neuf de toises de large, si bien que la navigation sur ce canal seroit sans difficulté".

(Références : Histoire du Canal de Languedoc, rédigée sur des pièces authentiques conservées à la Bibliothèque Impériale et aux archives du Canal, par les descendants de Pierre-Paul Riquet de Bonrepos - Imprimerie de Crapelet à Paris 1805).

Dans ce mémoire, Riquet présentait trois plans relatifs à la direction du Canal. A savoir :

  1. conduire le Canal vers la rivière d'Agout
  2. de la rendre navigable jusqu'à son embouchure dans le Tarn
  3.  et cette rivière-ci étant navigable, la joindre à la Garonne auprès de Moissac.

 

Mais il faisait observer qu'il aurait des difficultés "au navigage contre-mont la rivière d'Agout et du Tarn par suite des fréquentes chaussées de moulins".

 Dans un second plan, et pour éviter les obstacles précités, il indique clairement qu'il faut renoncer aux rivières de l'Agout et du Tarn. Il souligne le fait que depuis le point de partage jusqu'à la rivière nommée le Girou, il y a environ trois lieues de pays plat. Le Girou entre dans l'Hers, qui se jette dans la Garonne à sept lieues de là, et à trois lieues au-dessus de Toulouse.
C'est par le moyen de ces deux rivières qu'il formait ce Canal.

Le troisième plan est tout entier dans une réflexion de P.P. Riquet qui fait suite aux observations précédentes.
Il écrit : "s'il est de nécessité absolue de faire passer le Canal auprès de Toulouse, cela se pourroit encore facilement faire, car il est aisé de porter dans les fossés de cette ville, à cause que le terrein est uni et nullement montueux. Aussi est-il vrai que cette route est plus facile, car le terrein est tellement de niveau, que quatre écluses suffiroient pour vinq-cinq lieues de France, et la navigation en seroit d'une aisance sans pareille, et dans un calme parfait. Car on ne prendroit que les eaux nécessaires pour l'entretien du Canal, laissant épancher les superflues dans leurs vieux lits. Et pareille chose pourroit se faire depuis le point de partage jusqu'à la robine de Narbonne, de sorte que la navigation seroit sans peine et sans danger, et traverseroit deux des plus belles et abondantes provinces du monde, la Guyenne et le Languedoc".

C'est ce courrier que rédigea Riquet (le 26 novembre 1662), à Colbert, qui à l'époque était contrôleur-général des finances.
S'occupant d'ouvrir à la France de nouvelles sources de richesses, Colbert ne pourrait qu'être séduit. La paix du moment permettait à ce ministre de se livrer aux entreprises propres à ranimer l'industrie, et à fonder le commerce. "Ce plan de la jonction des mers ne pouvait être proposé dans une période plus favorable.
Nettement exposé, le plan de Riquet excita l'admiration de Colbert, et, le ministre fit aisément passer ce sentiment dans l'âme du Roi". (Références : Archives du Canal C.B.B. n° 22).
Perfectionniste, Riquet n'envisageait-il pas également de joindre "Cette" à Beaucaire et de creuser un Canal latéral à la Garonne ? Les commissaires chargés d'étudier le projet signalent à Colbert l'avantage que l'on pourrait tirer de ce vaste plan : accroître le commerce en direction de l'Allemagne et de la Suisse.

Riquet se rend à Paris donner des détails à Colbert. Infatigable, il va à Briare pour observer le mécanisme des écluses. De retour en Languedoc, sans attendre les autorisations des commissaires et experts - qui du reste établiront un rapport favorable - Riquet creuse un canal d'essai et démontre que les eaux de la Montagne Noire peuvent atteindre aisément le seuil de Naurouze.

 

Naissance de la Rigole et Edit de Louis XIV

Les pioches, les pelles, les haches, en juillet 1665 commencèrent à tailler dans la forêt de Ramondens, puis à creuser un fossé dans les flancs de la montagne.
Notre future Rigole naquit ainsi dans le fracas des mines et le craquement des arbres abattus.
De la Galaube, on passa à Galetis. De Galetis on progressa jusqu'au Conquet puis le fossé atteignit les Cammazes.
En poète, le docteur J. Girou écrit : "Dans cette dévastation des forêts et des monts, Riquet gardait saine mesure, il allait même créer une harmonie où seraient unis l'Art et la Nature ; il allait ajouter aux monts une parure bocagère ; c'est encore le merveilleux escalier d'eau qui part de la Galaube, descend pas à pas des monts pour devenir Rigole de la Plaine".

 Cette Rigole d'essai, où passait-elle ? Notamment dans les environs de Revel ? Jacques Batigne en a reconstitué le tracé. Ce fut achevé dans les premiers jours d'octobre.
Peu avant, le 28 septembre 1665, Riquet entre deux travaux, pouvait écrire de Revel, à Colbert :

"Ce n'est pas sans raison que l'on dit qu'en mangeant l'appétit vient ; la vérité de ce rébus se trouve dans l'exécution de mon entreprise. Je l'avois commencée par une petite Rigole d'essay, et je la continue par une qui pourroit faire la grande déviation dans une moindre besogne que la mienne, estant vray que la quantité que je conduis à Naurouze serait presque suffisante pour servir à l'entretien d'un canal comme celluy de Briare. Le malheur est que cet accroissement de travail et des pluyes qu'il fait dans ce pays icy depuis quinze jours, reculent l'achèvement et augmentent la despense, la dite despense s'approchera de la somme de 50 000 livres ... Peu de gens avoient foy pour la réussite, et maintenant qu'on ne la voit plus douteuse, la plus part disent que ce que j'ay fait tient du miracle, que cela ne se pouvoit sans le secours de Dieu ou la participation du Diable. Je conviens du premier, et du reste l'on me fera justice quand on dira de moy que j'ay quelque peu de nature, point d'art, et que je ne suis pas magicien".

Impossible d'oublier que cette Rigole de la Plaine joua un rôle important durant le creusement du Canal !
Elle servit en effet à transporter des matériaux (bois et pierres) venant de la Montagne Noire qui, rassemblés à Revel, étaient chargés sur des barques pour gagner les chantiers du Canal dès 1668. Des incidents fâcheux marquèrent le creusement de cette Rigole : les eaux du Sor détournées pour l'alimenter furent cause d'une réduction dans l'approvisionnement en eau de Revel.

Dès lors, les tanneries, teintureries et fabriques où l'on travaillait la laine se trouvèrent gênées dans leur fonctionnement par manque d'eau ; de même pour LES_MOULINS, dont ceux de Riquet (cédés par la bastide en 1658). Pour cette raison, Riquet ordonna la construction de Moulin du Roi, afin de remplacer LES_MOULINS qui n'étaient plus en état d'être utilisés.

La vérification de cette Rigole fut effectuée par M.M. de Bezons et de Tubeuf accompagnés de M. de Clerville, du sieur René Janse et de M. de Fleury, trésorier de France à Montpellier.

Le 9 novembre 1665, il ne purent que constater le triomphe de Riquet. Détournées, les sources de la Montagne Noire pouvaient alimenter le bassin de distribution de Naurouze ! Après que les commissaires eurent rendu compte à Colbert, et que le chevalier de Clerville ait établi le devis de "la première entreprise" Toulouse - Trèbes, soit 3 677 065 livres, Louis XIV, par édit du mois d'octobre 1666 ordonna "dans un style noble et élevé" la "construction du Canal de navigation et communication des deux Mers" !

Un arrêt du conseil déclarait "qu'un ouvrage qui exigeait une attention continuelle et des dépenses journalières ne pouvait sans inconvénient être confié à une régie publique et qu'il était plus avantageux et plus sûr d'en laisser la conduite à un particulier, de lui donner la propriété, de l'intéresser à la conservation de la chose et de mettre l'intérêt public sous la sauvegarde de l'intérêt personnel".

Riquet qui avait soutenu que " l'intérêt particulier d'une famille propriétaire est le meilleur garant de l'intérêt général " triomphait.
Pour 3 650 000 livres, il devenait adjudicataire et entrepreneur des premiers travaux. A soixante ans, il pouvait commencer l'ouvrage dont il avait rêvé avec passion !

Les travaux

"On fait à savoir tout les travailleurs qui voudront s'engager pour travailler au Canal de communication des Mers, qui se construit en Languedoc, qu'il sera donné à chacun dix livres par mois, sans leur déduire les jours de fêtes et dimanches, et jours qu'il pleuvra, qu'ils auront pour se reposer, et que de plus, il leur sera fourni logement moyennant deux deniers chaque jour, suivant l'Ordonnance de Monseigneur de Besons, Intendant de la Justice, police et finance en Languedoc, même ceux qui tomberont malades seront payez pendant le temps de leur maladie, comme s'ils travaillaient". Signé Riquet, chargé par le Roy de la construction dudit Canal.

 (Texte rapporté par Arnaud d'Antin de Vaillac dans Connaissance du Canal du Midi - Références Archives du Canal, liasse 17 n° 5).

En plaine, comme en montagne, c'est à une véritable levée d'armée que l'on assiste en ce début d'hiver 1667 pour effectuer la première tranche des travaux entre Toulouse et Trèbes, et la construction de Saint-Ferréol.
Les travailleurs agricoles sans emploi à cette époque de l'année fournissent le gros de la troupe. A eux se joignent des mercenaires, et même des femmes.
Conditions de l'enrôlement : être apte au travail, ne présenter aucune incommodité qui pourrait ralentir, être âgé pour le moins de vingt ans et tout au plus de cinquante.
Douze mille têtes sont ainsi rassemblées. Si un homme est bien compté pour une tête, trois femmes sont estimées deux têtes !
Un état-major d'ingénieur, de chef d'atelier et de brigadier organise des équipes de travailleurs au sein de brigades fortes de quarante personnes environ. Contrôleurs, vérificateurs, niveleurs, payeurs, complètent cette admirable organisation.
Une véritable fourmilière déploie ses activités.
Un va-et-vient de paniers et de hottes pour ôter les déblais, et le mouvement des civières chargées de fardeaux !
Dans chaque brigade, dix ouvriers creusent, dix pellettent et vingt déblaient ; chacun d'eux reçoit un denier par couffin de terre.
Certains gagneront jusqu'à dix sols par jour. Tous les corps de métiers s'affairent dans les plaines, comme à Saint-Ferréol : maréchaux-ferrants, selliers, bourreliers, forgerons, cordiers, charpentiers et tailleurs de pierres.
On coupe les arbres, on creuse la terre et dans le fracas des mines éclatent les roches. Pierre-Paul Riquet, sans jamais se lasser, malgré son âge, parcourt les chantiers, de la plaine à la montagne et de la montagne à la plaine.
Usant de son charme et de sa bonhomie, il aide les travailleurs, stimule les équipes, anime les travaux, contrôle le nivellement et trouve toujours une solution aux difficultés qui surgissent.
Il est aussi à la mise en place des écluses pour lesquelles il a fait réaliser un empellement (vannes) de son invention qui ne nécessite que la manœuvre d'un seul homme.
L'enthousiasme le rajeunit. Prenant quelque repos à Revel où il a installé son quartier général pour surveiller les travaux de la montagne et ceux de la Rigole, Riquet écrivit souvent à Colbert. mais il n'a de cesse que d'être près des chantiers, ceux de la Rigole de la montagne née de l'Alzeau.
Suivant les berges du Sor jusqu'au pont Crouzet, il va le long de la Rigole de la plaine, fait halte au Moulin du Roi, puis parcourt les toises de cette Rigole de plaine qui avance peu à peu vers Naurouze.
Entre 1667 et 1672, il doit aussi accorder toute son attention à Saint­Ferréol en dépit de la fièvre qui le mine parfois.

 

Saint-Ferréol, un chef-d'oeuvre ajouté à la nature

"Riquet et les commissaires, pour pallier les pénuries d'eau liées à la sécheresse, comme pour assurer les remises en eau des biefs vidangés, avaient pensé aménager une quinzaine de réservoirs le long de la rigole d'alimentation (Réf. A. d'Antin de Vaillac).

 Le chevalier de Clerville chargé du devis des travaux eut l'idée de remplacer ces multiples réservoirs par un seul, mais de taille. C'est alors que Riquet examinant le vallon de Vaudreuille au fond duquel coulait le Laudot estima que cette grande conque suffirait à l'alimentation ... et ainsi naquit Saint-Ferréol !

En présence de l'archevêque de Toulouse, Monseigneur d'Anglure, de l'évêque de Saint-Papoul et de deux intendants, on procède à la pose de la première pierre le 15 avril 1667.
Imposante cérémonie voulue par Colbert pour marquer la construction du premier barrage dé France.
Devant les personnalités, le modeste -ruisseau du Laudot coule au fond du grand vallon au-dessus de Vaudreuille.
L'idée de Riquet est simple : construire une digue qui barrera le vallon, soit trois murs de terre apportée avec hottes et paniers par les trois mille ouvriers travaillant au barrage lancé d'une colline à l'autre.
Hommes et femmes comblent les intervalles des trois murs par des cailloux et de la terre.
Et on hisse, et on taille, et on ajuste des blocs de granit façonnés qui constitueront le Grand Mur du réservoir, blocs sur lesquels les tailleurs de pierres gravent marques et signatures (autant de signes qui ne furent découverts qu'en 1975, dont la plaquette RIQUET chez nous parue à l'occasion d'une exposition permanente réalisée par Jacques Batigne en 1980, indique qu'il s'agit là des signes distinctifs des maîtres tailleurs de pierres, certains voyant des signes maçonniques de compagnons ... une énigme).

Les blocs de pierre de ce mur écran véritable construction à la romaine formeront la digue de 800 mètres de long, hauteur de 35 mètres pour une largeur de 5 mètre au sommet :

"De part et d'autre de ce grand mur seront tassés des remblais d'enrochement et de terres argileuses qui retiendront deux autres murs : un, en amont, totalement immergé, de 19,50 mètres de hauteur, pour 3,90 mètres d'épaisseur, l'autre en aval de 29,25 mètres de haut et de 2,80 mètres d'épaisseur"
(Réf. Arnaud d'Antin de Vaillac).

 Le tout revêtu dessus, d'une couche de deux mètres de terre glaise battue destinée à empêcher les infiltrations. Comme les deux murs intérieur et extérieur sont plus bas que le grand mur, ces terrassements formeront glacis.
Compte tenu des moyens dont ils disposaient, on a peine à imaginer les efforts déployés par ces hommes et ces femmes qui en cinq années réussirent à retenir sept millions de m3 d'eau environ !

Les difficultés

Pierre-Paul Riquet doit mener un rude combat pour conduire ces travaux. La guerre de Dévolution (entreprise après la mort de Philippe IV d'Espagne par Louis XIV qui réclame les Pays-Bas au nom de sa femme Marie-Thérèse) fait rage ; les révoltes se multiplient en Roussillon contre les services de la gabelle, dont Riquet est responsable.
Les caisses de l'Etat sont durement éprouvées pour ne pas dire plus !
Malgré ce, Riquet veut poursuivre son œuvre.
Point question de se laisser abattre ! Il plaide son affaire et devient adjudicataire pour la suite des travaux : Trèbes -" Cette ".

Ses dettes s'accumulent : "c'est vrai que je suis bien malheureux d'avoir trouvé l'art de détourner les rivières et de n'avoir pas su trouver les moyens d'arracher tout l'argent nécessaire pour mes grands et importants succès", dit-il.
II arrivera même à sacrifier la dot des ses filles. "Mon ouvrage est le plus cher de mes enfants" écrit-il à Colbert.

Si les impôts augmentent, si la sécheresse sévit, si le port de "Cette" (dont on commence la construction) et Saint-Ferréol coûtent trop chers ... c'est la faute à Riquet, crie-t-on de toutes parts !

Révoltes à Saint-Ferréol

Les eaux qui actionnaient LES MOULINS le long des cours d'eau fonctionnent moins bien, les champs sont moins bien irrigués depuis que Riquet à détourné les eaux pour le seul bénéfice du canal en cours de creusement.
Les édiles de Revel essuient un refus de la part de Riquet "ceux-ci ayant réclamé la transformation de la Rigole de la plaine en Canal et l'aménagement d'un port" (Réf. : Dr Girou).
Pierre Campmas toujours fidèle à Riquet a vent d'une révolte qui gronde de la part de ceux qui travaillent à Saint-Ferréol, où commence à s'élever le mur à la romaine, soutenus par les bûcherons de Ramondens et de la Loubatière décidés de jouer de la hache pour mettre à mal les travaux en cours.
Riquet gagne le chantier et fait front aux travailleurs en s'exprimant en patois :

"Le canal est votre œuvre, Saint-Ferréol est votre œuvre ... Vous et moi sommes embarqués dans cette galère. Nous devons poursuivre ... jusqu'au bout"

dut-il leur dire. Son magnétisme et la promesse de leur donner dix livres à chacun par mois auront raison de cette révolte qui se terminera par des "Vive nostre Riquet !".

Riquet peut regagner sa maison rustique édifiée à Saint-Ferréol près des maisons de bois logeant les 4 000 ouvriers, non loin des magasins et des écuries pour 200 chevaux.

Il faut finir l'ouvrage ou mourir à la peine

Durant cette période difficile, un premier succès pour Riquet, lorsque au début de l'année 1672, quatre grandes barques partant de Toulouse parviennent à Naurouze.

 Désormais on croit en lui, mais l'homme est épuisé. Dédaignant la maladie, il fait front et réussit à percer en six jours sur plus de sept cents mètres, la montagne d'Ensérune.
Les endettements augmentent au point que Colbert fait surveiller Riquet. Qu'importe, Riquet poursuit les travaux du port de "Cette" endommagé par la tempête. Aux portes de Béziers, il réalise à 75 ans le majestueux escalier d'eau de Fonserane.
Et le canal progresse vers la mer.
Et les ouvrages d'art se multiplient : en quatorze années Riquet aura construit 328 ouvrages d'art sur le Canal (écluses, épanchoirs, ponts, aqueducs, déversoirs, tunnels).
Les travaux auront coûté 15 249 399 livres 16 sous et 6 deniers.
A titre personnel il aura englouti près de deux millions de livres, la province et le roi ayant fourni le reste.
"II faut finir l'ouvrage ou mourir à la peine"
ne cessait de répéter Riquet lorsque la fièvre double ou tierce eut raison de lui à Toulouse le 1 er octobre 1680.

Le Canal n'était qu'à une lieue de la mer ... rien qu'à une lieue !
En mai 1681, l'œuvre de Riquet était achevée par son fils Jean-Mathias.

Le 19 de ce même mois, après bénédiction des eaux à Toulouse, et en grande pompe, une barque abondamment décorée réservée aux officiels, et suivie de 23 autres barques chargées de marchandises, partaient en direction de "Cette".
La première visite générale du Canal marquait l'ouverture de la navigation. La pelle et la pioche avaient eu raison de la terre et du roc.
Mais celui qui soutenu par une foi mystique conçut ce grand œuvre sans autre instrument qu'un méchant compas de fer (selon les mots de Daguesseau, intendant du Languedoc, présidant l'inauguration) reposait à Toulouse, dans la nef de la cathédrale Saint-Etienne près du pilier d'Orléans.

Comment pourrions-nous oublier Pierre-Paul Riquet à travers cette Montagne Noire qui fut son inspiration ? Comment ne pas lui rendre grâces lorsqu'on admire Saint-Ferréol sans jamais se lasser, ou qu'il nous est permis de suivre le cheminement romantique de la Rigole ?

 

 

Renseignements bibliographiques :
Archives du Canal : Mémoire historique dressé par le sieur de Rousset - construction du Canal A.B.B. m29 (1675)

De La Lande- Des canaux de navigation et spécialement du Canal du Midi - Paris 1778

Héritiers de Riquet, Histoire du Canal du Languedoc rédigée sur les pièces authentiques conservées aux archives du Canal - Paris 1805

A. Fabregat : Vie des hommes illustres de Béziers Tome ii - 1869 G. Doumerc : Histoire de Revel en Lauragais - 1976

FERNAY : Pierre-Paul Riquet, le Canal du Midi (un grand Français du XVIle siècle - 1884)

Histoire du Canal du Languedoc rédigée sur les pièces authentiques conservés à la Bibliothèque Impériale et aux archives du Canal par les descendants de Pierre-Paul Riquet de Bonrepos - 1805

Jean Girou : Nostre Riquet Ed. Collège d'occitanie - Toulouse 1968

Arnaud d'Antin de Vaillac : Commissaire du Canal du Midi Ed. France Empire - Paris 1979

crédit photo rigole de la montagne F.Verp

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